Shunga ou image de printemps - l'estampe érotique japonaise
« Dans le mythe fondateur du Japon, le monde est le résultat d'un acte d'amour entre deux êtres qui, au préalable, tournent autour d'une colonne pour mimer la première rencontre : « Oh quel beau jeune homme !», s'exclame Izanami, la femme Dieu, simulant la surprise. « Oh quelle belle jeune fille !», s'exclame Izanagi, l’homme Dieu... Après quoi, les amoureux mythiques procèdèrent aux multiples étreintes qui donnèrent naissance à ce qui existe, y compris les êtres humains, tous issus de ce désir qui a porté la première femme vers le premier homme. »
Ces estampes érotiques, appelées également « images de printemps » (shunga en japonais) furent très populaires au Japon au XVIIIème et XIXème siècle. Elles portent aussi le nom de makura-e (images d'oreiller) ou encore warai-e (images pour rire)
L’amiral Perry, qui a contraint le Japon à s’ouvrir à l’Occident, reçut, entre autre, des shunga en guise de cadeau officiel.
Plus tard, Toulouse-Laurec, Picasso, Rodin, et bien d’autres artistes européens affichèrent leur admiration sans bornes pour ces estampes d’un genre si particulier.
L’érotisme dans l’art japonais étonne toujours les occidentaux. Le Japon si raffiné, si secret, qui a inspiré de nombreux artistes à la fin du XIXème siècle, est au contraire très explicite dans ses représentations érotiques.
Ce pays vécut durant plus de 200 ans dans un isolement quasi total. Les hollandais et les chinois étaient juste tolérés sur l’ile de Dejima, seuls contacts du Japon avec le monde extérieur.
Sous le shogunat des Tokugawa (1603 - 1867) a régné la période la plus longue de paix.
De guerriers, les samourais, se sont peu à peu transformés en hommes cultivés. Leurs armures devinrent de plus en plus raffinées. Une nouvelle caste aisée de commerçants et d’artisans émergea.
N’étant plus occupé à guerroyer ou à survivre, une civilisation des plaisirs vit le jour.
Il y a un lien étroit entre l’estampe, le théâtre et la littérature. Lorsque la littérature choisit pour sujet la vie dans les quartiers, les amours homosexuels, le shunga suivit cette mode.
A l’origine, les shunga étaient surtout conçus en fonction du type d’éducation sexuelle auxquelles ils étaient destinés. Stimulation, amusement, éducation, séduction, consolation : le shunga était tout cela. La notion de péché n'existait pas pour les Japonais et la nudité n'était pas tabou. Ils avaientl'habitude de se cotoyer dans les bains publics dans le plus simple appareil.
Le shunga est bien plus qu’une simple représentation érotique : le samouraï glissait un petit shunga sous son armure comme talisman pour se donner du courage à la bataille ; il pouvait être enfermé dans une petite bourse pour attirer l’argent ou encore placé dans les magasins ou les maisons comme protection contre les incendies ; il pouvait être utilisé comme soin médical. Ces images de printemps pouvaient aussi être glissés sous les oreillers des jeunes mariés pour leur nuit de noce.
Les shunga ont été édités sous différentes formes et format : petits livres reliés, petits livres dépliants, miniatures, petits formats, formats oban…
Les miniatures étaient très souvent offertes pour le nouvel an.
Les shunga étaient également humoristiques. On les appelle Warai-e ou images pour rire. Il n’est pas rare de voir des scènes cocasses. Mais sous couvert d’humour, bien souvent ces estampes satiriques sont une charge politique contre le shogunat. Ce qui leur vaudra d’être interdites à partir de 1722 durant plus de 20 ans. Bien qu’illégaux après cette date, les shunga ont été tolérés par les autorités et leur production était florissante. Artistes, éditeurs, graveurs, imprimeurs, maisons vertes,… : toute une économie prospérait grâce à eux.
Puis la censure s’est un peu relâché permettant aux shunga de circuler « sous le manteau ». Ce statut semi-clandestin leur a même été bénéfique et leur ont permis d’aller encore plus loin dans la satire.
Ces shunga étaient rarement signés et les attributions des artistes ne sont pas toujours possible mais les plus grands artistes ont collaborés à ces estampes : Utamaro et son oeuvre la plus connue "Poème pour l'oreiller", Hiroshige, Hokusai et sa célèbre pieuvre enlaçant une jeune femme dénudée,...
Aujoud’hui les shunga font parties intégrantes des estampes japonaises Ukiyo-e et trouvent naturellement leur place dans toute collection. Le British Museum a consacré à ce sujet une très belle exposition à l'automne 2014. Plus près de nous, la Pinacothèque de Paris a réalisé une exposition de shunga intitulé "l'amour au temps des geishas".